Nous y voici. 8 décembre. L’heure des adieux. Après un mois d’une expérience absolument hors norme. Et il faut désormais quitter ce petit paradis. Je dois avouer que c’est le cœur gros que je sens les roues de l’avion s’arracher à cette terre de Bali, sitôt les derniers adieux à ces amis, anciens ou nouveaux, même si j’avais très envie de retrouver les miens. Un paradoxe qui me suit depuis toujours. La passion du voyage et des rencontres, et le bien-être de me retrouver chez moi, avec ma petite famille.
Où commencer ? Peut-être il y a 9 mois, lorsque je vis sur le calendrier de la BWF le nom de « Bali » juste derrière celui des "Finales du World Tour". Trop beau pour être vrai ? Non, c’était bien l’île des dieux qui remplacerait la Chine. Alors, oui, j’ai usé de mon privilège de « boss » de l’Agence pour m’octroyer le droit de couvrir cette compétition. J’ai d’abord un peu culpabilisé, mais je sais aussi que nombre de mes collègues ne peuvent pas partir si longtemps. Et puis, comme certains le savent, j’ai cette relation particulière à l’Indonésie, pays de sourires, de rires, d’inconscience. Les Indonésiens et moi partageons ce même état d’esprit, épicurien, cette capacité à laisser couler, sans se prendre la tête, de voir les choses avec recul et légèreté, sans nous prendre au sérieux, même si, parfois, nous savons faire les choses sérieusement. Et l’expérience que je m’apprêtais à vivre aller me montrer ô combien les locaux avaient pris cette organisation au sérieux…
Jamais, en 20 années de couverture de tournois – peut-être 300 même si je n’ai jamais compté comme mon ami Yves – je n’ai vu quelque chose de cette envergure. Bien sûr, les championnats du monde à Yogjakarta en 2017 m’avaient déjà laissé des souvenirs forts, mais cette expérience balinaise dépassait tout entendement. Les organisateurs avaient tout bonnement créé une bulle sanitaire dans un complexe hôtelier 5 étoiles, à Nusa Dua, au bord de l’une des plus belles plages de l’Ile. Ce qui voulait dire que chaque personne, dans cette bulle allait vivre en complète autarcie – ou presque - avec les autres. Je ne sais pas si vous imaginez ce que cela veut dire en termes d’organisation ! Un grand coup de chapeau au passage à l’équipe du « Hospitality Desk » – 40 incroyables jeunes gens, toujours souriants malgré l’adversité et les très longues heures de présence !
Il faut mentionner ici au passage l’arrivée à Bali : tous les joueurs, staffs, officiels, étaient arrivés à Jakarta, mais pour éviter la quarantaine normalement obligatoire dans la capitale indonésienne, le gouvernement avait autorisé par dérogation, une organisation à la carte. Nous nous étions tous retrouvés dans une salle VIP de l’aéroport, où ils avaient déplacé des douanes, et affrété un vol charter pour nous nous emmener directement à Bali, afin de faire la quarantaine dans l’hotel là bas. Simplement impensable dans n’importe quel pays du monde…
Nous voici donc arrivés à Nusa Dua, dans cette prison qui ressemblait fort à un paradis, que nous ne pourrions quitter pendant un mois. Avec les employés, les officiels, les joueurs. Sans doute une expérience aussi hors norme, pour les jeunes employés locaux, qui n’avaient pas vu de touristes pendant près de 2 ans, et qui voyaient débarquer les stars locales, avec qui ils allaient partager leur quotidien. Parfois, une femme de chambre ou un animateur de la piscine sortait discrètement son portable pour immortaliser une scène avec les joueurs, véritables héros locaux. Mais tout le monde jouait le jeu, trop heureux de connaitre un tel confinement – surtout pour ceux qui avaient vécu le trio de tournois en Thailande en début d’année, où le confinement se résumait à une chambre d’hôtel avec une impression latente d'être des pestiférés…
Les premiers jours se passèrent donc souvent au bord de la piscine, avec un peu de travail, mais raisonnablement. le temps se passait autrement à jouer, a discuter, à partager. Ma jeune collègue Erika, basée à Tokyo, avait accepté ma proposition de couvrir avec moi cet événement hors norme. Elle allait une nouvelle fois m’impressionner par sa capacité, si jeune, à travailler si fort et avec beaucoup de rigueur et de qualité dans ses images. Elle fut tout aussi ébaubie que moi de vivre un tel moment, à partager le quotidien des stars du bad en toute relaxation – avant la tempête de la compétition. Durant ces quelques jours, nous essayions aussi de capturer des moments de la vie quotidienne des joueurs, en ayant à l’esprit le respect de leur vie privée – nous ne sommes pas, à Badmintonphoto, des paparazzi. Mais les joueurs eux-mêmes étaient bien contents d’avoir des objectifs pour immortaliser ces instants et souvent, nous shootions à leur demande, sur la plage, aux abords de la piscine.
C’était aussi pour moi l’occasion de retrouver des amis, des anciens joueurs devenus entraineurs, des nouveaux ambassadeurs Solibad. Nous avons tellement rarement l’occasion de manger ou simplement de passer du temps avec nos amis sur le circuit – qu’ils soient joueurs, officiels, coachs. J’eus donc le plaisir d’aller faire le réveil musculaire avec l’équipe de Malaisie dirigée par mes amis Hendrawan et Chan Chong Ming, jouer au UNO ou au foot avec l’équipe de Thailande, partager un water volley avec les Bleus –ou embarquer la médaillée olympique japonaise Arisa Higashino sur mon Kayak de mer. Bref, des instants volés à la postérité. Aussi simples que rares.
La compétition commençait ensuite – il fallait bien justifier de tout ce décorum de rêve. Dans le centre de Convention de Bali, avec cette superbe idée de faire porter aux juges de ligne les sarongs et châpeaux traditionnels. Bien sûr, il manquait quelque chose d’essentiel : le public indonésien. L’âme du sport ici. Les voix et chants d’Istora Senayan, l’antre du badminton à Jakarta, ne résonnaient pas ici, dans le silence Balinais, pour ce qui a le plus caractérisé cette période de Covid. Bien sûr, cela m’a grandement manqué. Mais si les fans ne pouvaient pas être sur place, ils firent bien vite sentir leur présence autrement. Pas de chants ni de danse dans le stade, mais, tous les jours, des dizaines de cadeaux débarquaient à l’hotel. De l’artisanat, des cadres personnalisés avec des photos des joueurs, des cadeaux de toutes sortes – de la nourriture (bonbons, soupes et gateaux), des fleurs, des sacs à main, et même de l’argent en liquide !
Et pas seulement pour les héros nationaux : chaque joueur recevait son lot de petits paquets, tous les jours, même les joueurs les moins bien classés…
Erika et moi n’en croyions pas nos yeux, lorsque nous passions devant tous ces paquets, le soir, tard, après notre journée de travail. Alors que nous décidions de poster une « story » sur le compte instagram de Badmintonphoto pour rigoler – une photo de nous en train de pleurer au milieu des cadeaux – nous fûmes vite rattrapés par notre petite blague : les fans Indonésiens commencèrent à leur tour à nous envoyer des cadeaux. A manger, des jolis ballons, des mots d’encouragement, de remerciement pour nos images au quotidien. Erika s’est même vue offrir un appareil photo instantané par un fan anonyme ! Nous étions véritablement touchés par toute cette gentillesse et ces attentions. J’en profitai pour lancer mon propre compte Instagram (et oui, étant de la vieille génération, mes publications étaient jusque-là cantonnées à Facebook). Et évidemment, alors que Greysia Polii, la championne Olympique, avait "taggé" mon compte sur une vidéo qu’elle avait publié sur ses réseaux, il connut un franc succès dès les premiers jours. Mais c’était l’occasion de partager avec plus de monde aussi le fruit de mon travail au quotidien. Pourquoi pas ! Je ne mentionnerai pas ici les demandes plus étranges qui me sont alors parvenues par ce biais…parfois un peu loufoques, voire assez effrayantes ! je goutais au quotidien des stars du bad...
Le deuxième dîner de bienvenue, celui de la deuxième compétition, allait rentrer dans l’histoire du genre. Des petites échoppes avec des chefs tout autour de la piscine avec des délices locaux – dont le célèbre « Babi Guling », et, cerise sur le gâteau, un DJ sur la plage, juste pour nous, avec un feu d’artifice géant tiré sur la mer en l’honneur des joueurs.
Et tous, toute nationalité confondue, dansèrent plusieurs heures dans la moiteur balinaise, pieds nus dans le sable chaud. Le temps s’est arrêté. Nous avions oublié le gros travail de la semaine passée, et ne pensions pas encore aux efforts qu’il faudrait encore faire pendant 2 semaines complètes. Eux, avec leurs raquettes, nous avec nos boitiers et nos objectifs, pour capturer leurs émotions. Mais pour l’heure, il s’agissait de profiter de ce moment suspendu dans le temps. Le lendemain, tous étions conviés à aller assister à un spectacle de danse locale (Cekak), dans le temple d’Uluwatu, juché sur une falaise, avec vue sur le coucher du soleil.
Sur les bords des terrains, en matière de photo, ces trois tournois comportaient bien des défis. Coté (très) positif, la magnifique lumière nous permettait de capturer des images à haute vitesse avec un fond noir parfait pour faire ressortir les émotions. Et aussi, le fait que nous n’étions que quelques rares accrédités du fait de la pandémie a bien aidé aussi, comme la gentillesse des staffs et juges-arbitres. Mais nous avions aussi une pression constante, car la Fédération Internationale comptait sur nous pour envoyer des images aux médias du monde entier, justement pour compenser l’interdiction d’accès au plateau des autres photographes. La fatigue se fit vite sentir, avec des journées de 12 ou 14h non stop, et des angles de prise de vue très limités, inhérents à la configuration de la salle – quasiment aucun point de vue en hauteur. Très difficile donc d’être créatif…
Un autre grand moment vint le troisième week-end, lorsque le propriétaire de l’un des plus gros complexe hôtelier de l’Ile nous convia – certains joueurs et le staff, nous compris. Une fois encore, nous prenions la mesure du moment exceptionnel qu’il nous était donné de vivre, avec un panorama de folie, en bout d’île, au milieu des rochers, sur ce « Rock Bar » qui fait partie d’un des dix plus beaux bars du monde. Un DJ, des cocktails de saveur, boissons et nourriture dans un petit paradis, au rythme des vagues qui venaient s’éclater sur les rochers alors que le soleil plongeait dans l’océan, peignant le ciel de couleurs magiques. La gentillesse et la classe de l'accueil du Manager du lieu, Christian, un Vaudois au français parfait, qui nous contait les merveilles du domaines en question. Nous prenions des photos aussi avec les joueurs – quelques selfies, aussi, ce que nous ne faisons par ailleurs jamais, par respect pour notre travail et pour les joueurs. Mais l’atmosphère était là au partage, entre amis, entre personnes d’une même grande famille qui vivions quelque chose d’extraordinaire. Une fois encore, le badminton nous apportait sur un plateau des moments de vie précieux. La bulle de l’hotel avait ici été transportée au milieu des vagues. Avec, toujours, de grandes précautions sanitaires prises pour la sécurité des joueurs – il n’y eut d’ailleurs aucun cas positif durant tout le mois.
La dernière semaine de compétition approchait. Tous étions fatigués – les joueurs blessés pour certains – mais nous nous devions, nous, de continuer à immortaliser les stars de la planète bad. Nous étions ravis de voir que des centaines d’images étaient téléchargées et publiées chaque jour – par les joueurs eux-mêmes, par la fédération internationale, par les plus grands journaux du monde, ou des personnalités politiques qui reprenaient les exploits de leurs compatriotes en les illustrant de nos images. Forcément grisant, et surtout, cela nous donnait ce petit boost de motivation supplémentaire. Et nous étions contents de mettre en lumière le talent des athlètes, mais aussi le formidable travail des organisateurs – la Fédération Indonésienne a là mis la barre très, très haut, à un standard où il sera sans doute difficile de se hisser à nouveau. Le « Indonesia Badmitnon Festival » allait rentrer dans l’histoire.
Alors qu’il était l’heure de dire au revoir, que la compétition prenait fin, j’avais encore une « mission », à Bali, qu’il m’importait de mener à bien : il me fallait amener tout ce que les joueurs avaient laissé ou donné, aux enfants du programme de Solibad. Le staff de l’organisation avait été sensationnel et affiché partout et demandé aux joueurs de ramener tout ce qu’ils pouvaient pour les enfants, et je quittais l’hotel avec 4 énormes cartons remplis de goodies, de cadeaux, de raquettes, chaussures, peluches… je retrouvais donc Tri, de notre association partenaire Yayasan Bintang Kidul, et nous voici en route pour le centre de Bali, au cœur de l’Ile, vers le village de Tabanan, situé au milieu des rizières et loin loin de la zone touristique.
Ici, un programme de l’Association vient de voir le jour, avec un terrain de badminton construit en extérieur, au milieu des bananiers et des plantations agricoles. Le programme, comme partout en Indonésie vise à donner l’opportunité à des enfants en grande précarité de pouvoir se dépenser, être suivis (vitamines, écoles, etc), et, à terme, pourquoi pas, évoluer vers une carrière liée au badminton, pour gagner sa vie. Quelques jours auparavant, nous avions eu la preuve vivante que ce rêve n’est pas vain ou si utopiste que cela, avec deux de nos « anciens » des kids du tout premier programme badminton YBK Solibad, Novia et Dimas, qui venaient de s’envoler pour le Canada pour devenir entraineurs professionnels pour des clubs là-bas.
Faire, et gagner leur vie, loin loin de la déchèterie de Jakarta où ils ont frappé leur premiers volants…
Pendant plusieurs heures, à Tabanan, sous une pluie fine, nous échangèrent des volants, des rires, des blagues, des guilis… Je m’étonnais de leur capacité à oublier pendant ces quelques heures leur condition de vie pour s’amuser autant sur le court. On distribua une partie des cadeaux, et de la nourriture donnés par les joueurs. Les nouveaux uniformes au logo de YBK, Solibad et Décathlon – notre partenaire sur ce vaste programme Indonésien – furent distribués et portés illico. Leurs sourires rendaient grâce à ceux des stars qui leur avaient légués leurs chaussures (les sœurs Stoeva d’Issy), leurs raquettes pour certains, ou leurs volants d’entrainement (une brillante idée des joueurs de Chambly Lauren Smith et Marcus Ellis), tout le matériel accumulé et donné aussi par les officiels (Iris, Bert, Freek) ainsi que l’équipe de Cordeurs de Yonex qui avait mis de côté les raquettes des joueurs qui avaient un mini défaut – pour en faire profiter les enfants… Inutile de vous dire la fierté de ces derniers de jouer avec les cadeaux des stars…
Les joueurs ont été fabuleux lors de ce mois. Tous, toujours avec beaucoup de gentillesse et d’humilité ont fait ce qu’ils pouvaient pour aider. Nombre de joueurs ont joué avec un lacet Solibad sur les courts de Bali, pour faire parler de l'association. Une anecdote amusante – et touchante – lorsque la joueuse de Hong
Kong Tse Ying Suet décida d’arriver sur le court TV avec notre masque et un lacet multicolore, une frénésie s’est emparée des réseaux sociaux à Hong Kong, et 500 paires de lacets ont été vendues en quelques jours – elle et son équipe ont pris en charge toute l’organisation de la distribution. Suite à cela, une créatrice Hong. Kongaise nous a contacté pour créer une collection "co-brandée" avec un institut qui lutte contre les maladies mentales, et nous lançons ces jours-ci la vente d’une collection 100% durable aux couleurs de Solibad avec une partie des bénéfices qui seront reversés aux programmes.
Voilà pour ces souvenirs de Bali – merci à toi, cher lecteur, d’avoir été jusqu’au bout de cette longue description de ce mois passé dans cette bulle incroyable. Mais il me semblait important que la communauté francophone du badminton connaisse aussi les coulisses de tels événements exceptionnels. Et c’est un privilège de pouvoir en faire partie.
Il est donc temps de mettre tous ces moments précieux dans la boite à souvenirs, qui s’étoffe un peu plus. La terre continue de tourner. Mes collègues Yohan et Mika ont pris le relais à Huelva, pour finir cette année 2021 avec les championnats du monde individuels. Je suis heureux aussi d’avoir retrouvé les miens, qui m’ont forcément manqué pendant ces longues semaines loin de Paris. Mais je reviens plein de cette énergie positive, d’idées et d’ambitions pour l’année à venir. Vous en entendrez parler bientôt. D’ici là, je vous donne rendez-vous le 29 décembre pour la Giga Tombola Solibad. Avec plein de surprises et de lots à gagner.
Prenez soin de vous !
Raphaël,
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