Avec moitié moins de licenciés qu’en France, le Danemark est pourtant bien la seule nation européenne à rivaliser avec les puissances asiatiques, ultra dominatrices de la discipline. Badzine a donc essayé de comprendre comment nos amis Scandinaves ont réussi à se démarquer depuis plusieurs décennies.
Par Paul Abran et Raphaël Sachetat
Avec 63 breloques, le Danemark est la troisième nation la plus médaillée aux Championnats du monde depuis la première édition de la compétition en 1977. Les Rouge et Blanc occupent la petite marche du podium derrière l’Indonésie (77 médailles) et la Chine, largement en tête (187 médailles !). Derrière les Danois, se placent la Corée du Sud et le Japon. Seul, au milieu des puissances du continent asiatique, le Danemark est le seul pays européen à tirer son épingle du jeu et à donner du fil à retordre aux Chinois, Japonais et Indonésiens.
« Les Danois sont grands de taille, ça les avantage ! »
Cet argument, maintes fois lu et entendu pourrait expliquer l’avantage qu’ont les Scandinaves sur le reste du monde en badminton. Notamment lorsque l’on observe Viktor Axelsen traverser le terrain en deux pas chassés et faire tomber « Super Dan » en finale des mondiaux de 2017. Mais l’Histoire a démontré aussi le contraire à maintes reprises, ne serait-ce qu'avec le Japonais Kento Momota - actuel n°1 mondial et son mètre soixante quinze (20 cm de moins que son homologue danois) double tenant du titre et véritable bête noire du Danois (1 seule victoire en 15 rencontres...). Mais alors, si ce n’est la taille, qu’est-ce qui fait que nos presque-voisins sont au firmament du badminton mondial depuis plusieurs décennies ?
Une politique avant-gardiste, une structuration intelligente
La première explication au succès des Danois est plus politique que morphologique... Dès le début des années 1970, le sport devient un réel objet de politique publique. Le gouvernement prend les devants pour développer le « sport pour tous » et mène des projets d’infrastructures à travers le pays. Un gymnase dans chaque ville pour permettre aux jeunes de pratiquer près de chez eux. Et déjà, à l’époque, le Danemark remporte ses premiers titres mondiaux – 3 titres en 1977, 1 en 1983. Un centre de formation voit le jour à Copenhague au début des années 80, avec six courts, pour permettre aux trente meilleurs espoirs de devenir des champions.
La météo y est aussi pour quelque chose. Qui dit pays nordique, dit météo difficile. Contrairement à leurs voisins Norvégiens ou Suédois, pas de montagnes à domicile - les sports alpins donc moins évidents. Le sport d’intérieur est logiquement préféré par les jeunes sportifs : le handball, majoritairement, mais aussi le badminton qui est aujourd'hui il est le sixième sport le plus pratiqué dans le pays avec plus 92 000 licenciés.
Mais la structure y est pour beaucoup. L’accessibilité aux infrastructures aux quatre coins du pays, et la volonté de la fédération danoise et des clubs de faire s’affronter les meilleurs quel que soit leur âge ont permis au Danemark de proposer à ses jeunes talents la formation idéale. De ce modèle bien rodé, des champions devenus des icônes de leurs disciplines et de leurs pays. Des champions qui ont façonné la culture du volant au royaume danois. Comme un certain... Peter Gade, numéro un mondial de 1998 et 2001.
Un cercle vertueux
Très tôt engagés dans la compétition de haut niveau avec des résultats à la hauteur de leur investissement, les Scandinaves ont bénéficié d’un cercle vertueux mis en marche bien avant les grandes puissances d’aujourd’hui. Sans doute serait-il plus difficile, de nos jours, de créer un tel mécanisme positif, tant le niveau a augmenté – comme le nombre de nations très impliquées dans le sport avec des moyens financiers sans aucune commune mesure de celles déployées dans les années 70. Avec des médaillés aux championnats du monde ou aux Jeux Olympiques, le Danemark a très tôt assis une « culture » de la gagne. Non seulement de nombreux jeunes danois se sont mis au sport, mais en plus, ils savaient qu’ils pouvaient aller battre les grosses nations.
Une question d'éducation, aussi
Autre trait de caractère des Danois : les modèles éducatifs – à la maison comme à l’école - mettent en avant la confiance en soi – prise parfois (à juste titre pour quelques rares cas), pour de l’arrogance. Or, sur un terrain de badminton, a qualité technique et physique égale, la différence se fait au mental. Et il est indéniable que certains champions danois ont pu mettre à mal l’hégémonie asiatique grâce à cette dose de confiance en eux et des caractères bien trempés.
L’une des égéries danoises, Camilla Martin faisait trembler toutes ses adversaires chinoises et marquait des points avant même le début des matchs. Elle doit à sa stature mentale bien des succès, y compris un titre mondial chez elle à Copenhague en 1999. Le duo Eriksen & Lundgaard a très longtemps pris l’ascendant sur certaines paires asiatiques, pourtant plus talentueuses, rien que par leur attitude velléitaire sur le court.
Une leçon bien apprise par Brice Leverdez - nonuple champion de France - qui s’est entraîné souvent au Danemark et dont l’attitude sur le court n’est pas sans rappeler quelques-uns des meilleurs Danois. Avec, souvent, une confiance qui lui fait gagner les points cruciaux pour aller faire douter et battre certains des meilleurs joueurs de la planète. C’est d’ailleurs ce que Peter Gade imaginait mettre en place lorsqu’il débarquait – à la surprise générale – comme directeur de la Performance à l’INSEP il y a quelques années. « Je souhaite faire prendre conscience aux joueurs Français qu’ils ont en eux cette capacité à croire en leur succès. Que ces derniers se dessinent d’abord dans leur tête et aboutiront ensuite à force de travail » disait-il dès son arrivée.
Les entraîneurs, clés de voûte d'un système bien pensé
La qualité des entraîneurs aussi, a joué un rôle dans la continuité de l’hégémonie, avec des experts sans cesse en quête de nouvelles formations et de remise en question perpétuelle, s’appuyant sur des bases analytiques vidéos poussées. Pour certains, des séjours à l’étranger ont fini de parfaire leur vision polyvalente des forces en présence – Peter Gade, encore lui, mais aussi Kenneth Jonassen, aujourd’hui responsable du pôle de simple danois après un long passage par Badminton England. Morten Frost, la légende des années 80, a lui aussi été entraîneur en chef des équipes malaisiennes pendant plusieurs années avant de revenir au bercail, même s’il n’entraîne plus officiellement. Les "coachs" sont à la pointe du système, respectés par les joueurs, à la fois pour leur passé de sportif de très haut niveau, mais aussi pour leur expertise retravaillée, affinée, dès la raquette raccrochée.
Et le futur ?
Si le passé – lointain et encore proche – semble sourire aux Danois, la question se pose quant à « l’après ». La tradition reste bien présente, et cette « culture du succès » est encore d’actualité, y compris chez les jeunes qui dominent encore les débats en Europe, même si, depuis peu, d’autres nations ont commencé à titiller les Scandinaves. Les Espagnols, mais aussi et surtout les Français, avec une génération d’exception menée par Arnaud Merklé et les frères Popov, qui ont placé la France au-dessus des Danois à deux reprises pour des compétitions majeures de référence – les championnats d’Europe juniors.
De plus, les conflits récurrents entre la Fédération danoise et ses joueurs à propos de querelles de sponsors ont mis à mal l’apparente tranquillité nordique et nombre d’athlètes ont commencé à péricliter, en difficulté financière pour certains, sans réelle motivation sportive pour d’autres, en plus des mises en retraites récentes en double notamment. Si le simple homme regorge de talents, le reste des catégories n’est plus le reflet d’une hégémonie historique qu’elle a jadis été. La porte s’ouvre donc aux autres nations, même si le drapeau rouge flanqué de la croix fine blanche a encore de beaux jours devant lui, comme l’a encore démontré Axelsen en allant remporter le All England récemment, un premier titre depuis 1999.
Photos : Badmintonphoto.
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